Qu’est-ce qu’un chef
?
Venant de la banque,
du libéralisme et de la haute fonction publique, personne n’a obligé Emmanuel
Macron, huitième président de la V° République, à se réclamer du général de
Gaulle, qui n’aimait ni la banque, ni le libéralisme, ni la haute fonction
publique -qui le lui ont d’ailleurs bien rendu…
De la même manière,
annoncer une présidence jupitérienne, avec une parole rare, ne relevait
d’aucune autre obligation chez lui que de pure et simple communication
électoraliste. Dans l’image officielle qu’il se fait et veut donner de lui, il
choisit de poser négligemment son fessier sur le bord d’un bureau et de placer
bien en vue trois volumes de la prestigieuse collection des éditions Gallimard:
la Pléiade. On sait depuis que, dans ces trois volumes savamment choisis et mis
en scène par son service communication, on trouve les Mémoires du général de
Gaulle.
Pour l’exercice de
cette photo officielle à laquelle il s’est plié sans plaisir, et à laquelle il
a consenti par nécessité, le général de Gaulle est debout, comme un phare au
beau milieu de la tempête. Il porte les insignes du chef de l’Etat: grand-croix
de la Légion d’honneur et grand maître de l’Ordre de la libération. La
photographie est prise dans la bibliothèque de l’Elysée: il pose la main sur
deux livres qui ne sont rien d’autre que la constitution de 1958 et l’Histoire
de la Légion d’honneur. Aucune concession narcissique dans ces choix: par sa
fonction, de Gaulle garantit l’être, la fonction et la durée de la France en
même temps que la narration de qui l’a faite grande, quand et comment.
Emmanuel Macron est
quant à lui en costume de ville, mais il n’est pas capable d’être debout, son
âge ne le lui permet probablement pas, il pose ses fesses sur le meuble dont il
tient le rebord à pleine main sur le principe de la crispation. Il a également
choisi, en même temps que les Mémoires du général de Gaulle, Le Rouge et le
Noir de Stendhal et Les Nourritures terrestres de Gide. Rappelons que le volume
de Pléiade du Gide en question contient également Le Traité du Narcisse,
L’Immoraliste, Le Retour de l’enfant prodigue et Les Faux-Monnayeurs -ce sont
autant de programmes existentiels au choix, mais dont tous sont égotistes et
aucun n’est romain… On trouve également sur ce bureau Louis XV deux téléphones
portables l’un sur l’autre; l’homme porte également deux bagues, une à chaque
main -c’est l’homme du en même temps, autrement dit de la duplicité. Personne
n’ignore qu’il aime les signes comme le franc-maçon d’une loge spéculative
d’Amiens certain qu’avec ces bibelots il fasse montre de tant d’intelligence
concentrée dans sa petite personne!
On peut comprendre
que Macron revendique le narcissisme, l’égotisme, le talent d’un jeune garçon
beyliste qui séduit la mère de famille dans la maison qui l’appointe; mais
pourquoi le général de Gaulle dans ce fatras d’adolescent pas terminé? Car il
n’y a qu’un volume de Gaulle dans la collection prestigieuse de Gallimard. Le
président ne peut donc jouer de faux semblant, prétendre qu’il renvoie plutôt
au Fil de l’épée ou à Vers l’armée de métier, qui ne figurent pas dans ce
volume unique: ce sont ses Mémoires, donc ce que le général fit, fut et dit.
En fait, Stendhal et
Gide, c’est déjà ce qu’il a eu le temps d’être dans sa courte vie: Julien Sorel
couchant avec Madame de Rênal, dont le mari l’employait ; et Nathanaël à qui le
poète enseigne la ferveur, à savoir l’amour charnel… Quant au général de Gaulle,
c’est ce qu’il aurait bien aimé être -mais qu’il ne sera jamais, l’heure est en
effet passée depuis bien longtemps pour ce vieux jeune homme qui disposait
pourtant de pas mal des cartes nécessaires. Encore eût-il fallu pour cela qu’il
sache que le monde existe en dehors de sa petite personne et que l’on nomme
Histoire tout ce qui est après en avoir soustrait sa petite personne.
Quelle arrogance il
faut pour que, n’ayant rien réalisé d’autre dans sa vie que de parvenir au
pouvoir d’un Etat dévitalisé, comme Sarkozy ou Hollande, pas plus, cette
personne compare son existence à celle d’un homme qui eut une théorie des
blindés dans les premières années du XX° siècle (laquelle fit le succès des
attaques de Guderian dans les Ardennes), fit la Première Guerre mondiale, y fut
plusieurs fois blessé, puis prisonnier, prononça l’appel du 18 juin, mit sur
pied la France libre, fit de telle sorte que la France fut respectée par les
Alliés, empêcha les Etats-Unis de coloniser la France après le débarquement du
6 Juin 1944, créa la V° république et la constitution de 1958, rendit possible
l’élection du président de la République au suffrage universel direct,
décolonisa notamment l’Algérie en 1962, mit sur pied un projet militaire
nucléaire, refusa la sujétion soviétique aussi bien qu’américaine, mena une
politique nationale souverainiste, refusa le projet européiste qui visait la
dilution de la nation française dans la perspective d’un Etat universel tout
entier dévoué au Capital! Quelle arrogance en effet il faut à Macron pour
prétendre jouer dans la même catégorie que le général!
Car cet homme n’a
pour guerre que celle qu’il décide et déclare seul contre un virus! Cet
individu joue à la guerre mais la guerre se joue de lui. Mépriser un chef
d’Etat-major, puis faire tout pour l’évincer, rassembler la fine fleur de
l’armée française pour lui dire: "je suis votre chef", faire fuiter
par un journaliste un propos tenu par un général de manière privée afin d’en
faire un casus belli médiatique, remonter l’avenue des Champs-Elysées dans un
engin militaire et la redescendre dans un véhicule civil, voilà qui montre une
immaturité sidérante quand on dispose du feu nucléaire et qu’on est
constitutionnellement le chef des Armées.
Emmanuel Macron, en
tant que chef de l’Etat, porte donc plus que lui puisqu’il est investi, même si
chacun a compris les mécanismes faussés de son élection, par l’onction du
suffrage universel.
On a vu récemment
qu’il a perdu les élections européennes mais qu’il a estimé que c’était à si
peu, selon lui, que cet échec était un franc succès face au Rassemblement
national qui, lui, les a gagnées. Or, un chef de l’Etat qui perd des élections,
prétend les avoir gagnées, reste au pouvoir, ne modifie en rien la politique
française (ni remaniement, ni dissolution, ni nouveau gouvernement) s’avère
tout simplement putschiste! En 1969, quand de Gaulle perd le référendum que
l’on sait, il s’en va, lui: car le général est démocrate et républicain.
Si Macron se voulait
gaullien ou gaulliste, nul besoin d’afficher les Mémoires du général sur son
bureau: il lui aurait suffi d’entendre ce que le peuple lui a dit, soit lors
d’élections, soit dans les rues.
Or, les
interminables semaines de plainte des gilets-jaunes ont été tenues par lui pour
nulles et non avenues; même chose avec les revendications des personnels
hospitaliers dont il se moque depuis plus d’un an; même remarque avec les
retraités qui demandaient que l’argent ne fasse pas la loi partout dans leurs
vies. Il n’y eut que mépris de la part de celui qui croit comme un enfant que
le chef c’est celui qui méprise! Or, le chef c’est celui qui refuse de mépriser
quand il en a le pouvoir.
C’est aussi celui
qui sait que noblesse oblige, que le pouvoir ne donne pas des droits (celui de
parader et de verbigérer sans cesse comme un enfant roi devant la famille
réunie le dimanche élargi à la France entière…) mais qu’il confère des devoirs.
Et parmi ces devoirs, celui de protéger son peuple.
Or, depuis le début
de la pandémie, mais pas seulement, Emmanuel Macron expose son peuple: dès les
premiers jours il a mésestimé et sous-estimé la gravité de la crise; il va
chercher des Français expatriés sur les lieux même du foyer infectieux chinois;
il répartit les expatriés dans des villages de province; il distribue les
permissions aux militaires ayant effectué ce rapatriement sanitaire, libérant
ainsi le premier feu du premier foyer; il laisse atterrir quantités d’avions
chinois sur le sol français sans qu’un véritable contrôle soit effectué aux
atterrissages -une vingtaine par jours à l’époque; il laisse les frontières
ouvertes -puis les clôt; il annonce que les écoles ne seront pas fermées -puis
il les fait fermer; il déclare nuls et non avenus les masques qui ne
serviraient à rien -puis il en commande des millions; il affirme que si l’on
n’est pas affectés on n’a pas besoin d’en porter un, mais à Mulhouse il sort en
l’arborant ostensiblement; il annonce qu’un strict confinement est nécessaire
et qu’à défaut, cette décision s’avérerait inefficace, mais il tolère que dans
les territoires perdus de la République la règle ne s’impose pas, ce qui
désigne le peuple français à ceux qui se réjouissent de pouvoir l’exposer à la
maladie et à la mort.
Quel chef peut
ainsi, dans un état qu’il a décrété de guerre, se montrer si peu chef et exposer
autant son peuple de façon régulière et continue?
Si Agnès Buzyn a
bien informé le chef de l’Etat dès décembre de l’étendue des dégâts à venir
dans le pays, et qu’il n’en a rien fait, c’est sciemment qu’Emmanuel Macron a
laissé se répandre la mort dans le pays dont il a la garde. Qu’il a laissé se
répandre et qu’il laisse répandre…
Si vraiment Macron
eut voulu être à la hauteur du général de Gaulle, il lui eut fallu lire Le Fil
de l’épée. Lire et comprendre, comprendre et agir en regard de ce qu’il aurait
lu et compris.
Dans cet ouvrage
écrit avec une plume du Grand Siècle, le général s’appuie sur Bergson pour
effectuer un portrait du chef. Selon lui, ni l’examen, ni le jugement, ni
l’intelligence ne suffisent à caractériser le grand homme, le chef. Il faut,
dit de Gaulle lecteur de Bergson, l’intuition, qui combine l’instinct et
l’intelligence. Sans intelligence, pas d’enchaînement logique ni de jugement
éclairé. Sans l’instinct, pas de perception profonde ni d’impulsion créatrice.
L’instinct lie à la nature. Il rend ensuite l’action possible.
Comment peut-on
penser une seule seconde qu’Emmanuel Macron disposerait d’intuition, d’instinct
et d’intelligence? Chacun a pu le voir depuis deux ans: il n’est que calcul,
communication et opportunisme. Quelle liaison cet homme entretiendrait-il avec
la nature? Aucune… Il est un produit du théâtre, de la banque, de la finance,
de la fonction publique.
Quelle liaison ce
même homme entretiendrait-il avec la culture? Aucune, sinon la relation que
chérissent les bourgeois pour lesquels elle se montre un signe d’appartenance
de classe -qui sépare les dissemblables et unit les semblables. La culture
détend le soir du travail de la banque pendant la journée. Aux heures ouvrables
on enrichit les riches et l’on appauvrit les pauvres; le soir venu, on
s’habille pour sortir au théâtre.
Comme cette engeance
se trouve loin, bien loin de ce que Bergson et de Gaulle enseignent! Instinct?
Intelligence? Intuition? Impulsion créatrice? Saisie de l’élan vital?
Inspiration? Connaissance de l’évolution créatrice? Rien de tout cela chez
Emmanuel Macron qui est taillé pour le costume du Chef comme un collégien à qui
l’on a destiné le vêtement pour la représentation de fin d'année. Il est bon
pour les Jésuites de La Providence à Amiens, mais pas au-delà.
Or il se fait que
cet homme se trouve à la tête d’un pays, la France, et qu’il le conduit comme
un adolescent perdu. Hier il disait oui, aujourd’hui, il dit non, demain il
dira peut-être, après-demain il dira sans vergogne: "je n’ai jamais cessé
de vous le dire"... Quelle pitié que ce bateau à la dérive!
Dans Le Fil de
l’épée, de Gaulle parle du chef comme d’un artiste. Or, les circonstances nous
le montrent: notre chef est un peintre du dimanche...
Michel Onfray
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