Par Michel Onfray
Qu’est-ce qu’un
chef? (1)
Nous sommes mi-mars.
Dans les médias, on parle alors beaucoup du professeur Raoult.
‘Quand on voit tous les ennemis de cet homme on a franchement envie
d’être son ami…’
C’est une grande
passion française que, pour beaucoup, d’avoir un avis sur tout, y compris quand
on n’a ni compétence ni travail à convoquer ou à mobiliser en la matière.
J’ai souvenir d’un
intellectuel français aujourd’hui académicien qui fut capable en son temps de
donner un avis sur un film qu’il n’avait pas vu… Il disait aussi, en mai 68,
qu’il fallait "essayer des enfants"; il profère aujourd’hui sa haine
de cette époque mais sans pour autant faire son autocritique … Il y eut un
temps un avis gastronomique publié par un critique sur un site Web alors que le
restaurant n’était pas encore ouvert. C’est sans compter sur les journalistes
qui tiennent chronique littéraire depuis des décennies et qui encensent ou
démontent un livre juste parce qu’il faut détester ou vénérer son auteur pour
de pitoyables raisons mondaines (la plupart du temps parisiennes) dans
lesquelles le ressentiment, plus que l’œuvre, joue un rôle majeur. Quand
Bernanos écrit: "les ratés ne vous rateront pas", il affirme un
vérité psychologique majeure…
Pour le professeur
Raoult, c’est facile d’avoir un avis sur son travail: il suffit de juger son
physique… La télévision raffole de ce genre de raccourci qu’on dira pour rire
intellectuel. Cet homme a un curriculum vitae planétaire long comme deux bras,
mais il donne surtout l’impression de sortir d’un album genre Astérix et les
vikings, ce qui suffit à avoir un avis: pour les uns, c’est bien le signe qu’il
est tout dans le paraître et qu’il n’y a donc rien à en tirer (et de lister sa
mégalomanie, sa paranoïa, son caractère de cochon, son orgueil, son délire, ses
coups de gueule, sa gestion de dictateur ), pour les autres, c’est bien la
preuve qu’il n’a rien à voir avec les pisse-froids à la Légion d’honneur qui,
costumés et cravatés, affirment à longueur d’écran avec une même componction
que le virus ignore les frontières avant de porter à notre connaissance qu’il
reconnaît tout de même celles de Schengen, que ce ne sera qu’une grippette
avant de bramer partout qu’il s’agit d’une grave épidémie, que le masque ne
sert à rien mais qu’il faut en fabriquer par millions.
Lui, il continue. En
adepte du Nietzsche qui écrit dans Le Crépuscule des idoles: "Un oui, un
non, une ligne droite", Didier Raoult tient un cap, le même qui lui vaut,
sur la planète entière, le respect y compris de ses pairs -c’est dire. Quand
même les envieux et les jaloux sont obligés de faire taire l’envie et la
jalousie afin de tirer leur chapeau au grand homme, c’est qu’il faut bien se
rendre à l’évidence: cet homme porte plus que lui, il est très exactement ce
que Hegel appelle un grand homme: un homme qui fait l’Histoire en même temps
que l’Histoire le fait.
Du fond de mon lit
où je ruisselais de la fièvre d’une dengue, j’ai souvenir d’avoir entendu la
voix pincée de l’un de ces Saint Jean bouche-d’or médiatiques (médecin sur les
plateaux de télé et journaliste dans le bloc opératoire…) qui disait du
professeur Raoult qu’il "travaillait loin de Paris". Tout était dit!
D’ailleurs peut-on même parler de travail quand on est si loin de la capitale?
A Marseille, ne sont-ce pas des menteurs? Des va de la gueule? De hâbleurs? De
ces spécialistes de sardines qui bloquent le port? Marseille! Et puis quoi
encore? Cet homme qu’on pouvait, en allant vite, prendre pour Johnny Hallyday
dans les années soixante-dix, cet homme avait donc le front non pas d’être payé
pour chercher sans trouver, comme à Paris, mais payé pour trouver après avoir
cherché, et qui trouvait, comme dans ce désormais fameux navire amiral mondial
français: l’Institut hospitalo-universitaire Méditerrané-Infection. Cet homme,
donc, avait le front de prétendre soigner et guérir le coronavirus avec une
combinaison de médicaments simples ayant l’avantage de coûter peu et d’être
efficace. Mais, en même temps comme dirait l’autre, ce protocole présente
l’inconvénient majeur, pour l’industrie pharmaceutique, de ne pas dégager des
fortunes en jouant avec la santé des malades.
C’est une pièce
tragique, comme chez Eschyle, Sophocle ou Euripide, qui se joue sous nos yeux:
d’un côté faire fortune en sacrifiant la santé des gens, ce qui suppose que,
connivent avec l’industrie pharmaceutique, le pouvoir opte pour la mort des
gens comme une variable d’ajustement du marché qui, avec le temps, donc avec
l’accumulation des cadavres, rend le produit médicamenteux désirable, donc rare
et cher; de l’autre sauver les gens le plus possible, le plus vite possible, au
moindre coût, mais de ce fait ne pas dégager les bénéfices planétaires
escomptés par l’armée des mercenaires de l’industrie pharmaceutique.
On aura compris que,
dans ce qui oppose le professeur Raoult à ses adversaires (le plus notable
semblant monsieur Lévy, notoirement monsieur Buzyn à la ville...), c’est le
triomphe d’une vieille opposition. Le vieux couple qui oppose le héros et le
salaud; ou bien encore: le professeur qui hait la mort et aime la vie contre
les administratifs de la santé qui aiment la mort et haïssent la vie; c’est
l’antique opposition entre le lion à la crinière menaçante qui les conchie tous
ou les pangolins dont on fait des soupes fétides.
Une étrange ligne de
partage sépare les tenants du pouvoir, l’élite pour le dire dans un mot simple,
et ceux qui subissent ce pouvoir. La fracture qui opposait les gilets-jaunes et
leurs ennemis semble se superposer à la carte de ceux qui estiment que le
professeur Raoult incarne un monde dans lequel on trouve la province, la
campagne, la ruralité, la pauvreté, les ploucs, les paysans, les incultes, les
sous-diplômés, etc.
En face se
retrouvent les Parisiens, les académiciens à la Lambron, snob comme un lycéen
de province alors qu’il a plus que trois fois dépassé l’âge, l’inénarrable
Cohn-Bendit, que son passé de pédophile devrait éloigner définitivement de
toute antenne mais qui, dans le style avachi et grossier qui est le sien depuis
un demi-siècle, demande au professeur de "fermer sa gueule".
C’est du même monde
que procède Patrick Cohen, journaliste multicartes du nationalisme maastrichtien
et qui a récemment parlé d’une "giletjaunisation de la crise
sanitaire" sur le plateau de "C’est à vous" (25 mars). C’est
donc dans une émission du service public que Patrick Cohen a fustigé ceux qui
avaient le tort de croire que cette crise était mal gérée par le pouvoir
macronien…
C’est également
Michel Cymes qui, après avoir annoncé qu’il en irait d’une simple grippette
avec ce coronavirus, donne aujourd’hui des leçons dans une émission du service
public où il est, nonobstant son impéritie, présenté comme référant en la
matière… Le même Cymes tacle le professeur; il est vrai que, flanqué d’Adriana
Karembeu qui lui apporte la caution intellectuelle et médicale qui lui fait
défaut, le faux drôle peut pendant ce temps-là passer à la caisse avec ses
multiples activités tarifées.
N’oublions pas Alain
Duhamel, chroniqueur maastrichtien à Libération, journal progressiste qui
estime que l'horizon sexuel indépassable consiste aujourd’hui à copuler avec
des animaux et à manger des matières fécales (la pédophile, c’était avant…),
pour qui le professeur Raoult est "un anticonformisme de l’établissement
un peu déséquilibré psychiquement"… Il en faut de la haine pour se
permettre pareil jugement qui concerne le plus intime d’un être et le traiter
tout simplement de fou comme au bon vieux temps de l’Union soviétique qui
psychiatrisait toute pensée critique.
Enfin, cerise
pourrie sur le gâteau du pouvoir, il faut également compter avec les services
du journal Le Monde ("journal vichyste du soir" disait de Gaulle dans
les années cinquante) qui instruit le 28 mars un procès en complotisme -jadis,
on leur aurait dû le procès en Inquisition, le bûcher des sorcières, le
Tribunal révolutionnaire et autres juridictions où le but consiste à tuer
d’abord puis d’instruire ensuite. Il faut à ces journalistes-là amalgamer le
professeur Raoult aux complotistes, à l’extrême-droite, au Rassemblement
national, à la gauche radicale, aux Russes, aux trumpiens, aux
climato-sceptiques, à l’antisémitisme, et, bien sûr, aux gilets jaunes. Les
amis d’Adolf Hitler n’y sont pas, mais c’est parce que Le Monde n’aura
probablement pas réussi à les joindre…
Quand on voit tous
les ennemis de cet homme on a franchement envie d’être son ami…
C’est donc précédé
par ces tombereaux d’injures qu’en Martinique, avec le décalage horaire, j’ai
reçu un matin très tôt le message d’un amie journaliste franco-libanaise qui me
demandait si elle pouvait donner mes coordonnées téléphoniques au professeur Raoult.
J’ai posé la question: de qui émanait ce souhait? D’elle? Pas du tout, mais de
lui qui souhaitait me parler. "Il aime beaucoup ton travail" me
dit-elle, "il souhaiterait juste te parler". J’ai donc bien
évidemment donné mon accord…
C’était assez surréaliste
de converser avec cet homme que la presse mondiale sollicitait et qui trouvait
le temps d’une conversation philosophique. Je l’imaginais croulant sous les
sollicitations planétaires et nous parlions de… Nietzsche. Le Gai Savoir fut
pour lui comme une révélation. Nous avions donc cela en commun de découvrir
vers l’âge de quinze ans une pensée généalogique -aussi bien généalogique d’une
civilisation, d’une culture que d’une vie personnelle et privée. Le philosophe
véritable n’est pas celui qui cite une grande figure de l’histoire des idées
comme il invoquerait une sculpture de Verrocchio, une peinture du Greco (cet
homme accuse d’ailleurs la flamme montante du Grec…) ou une œuvre de Spinoza.
C’est celui qui, après la lecture d’une œuvre ne vit plus la même vie qu’avant:
Le Gai Savoir peut en effet changer la vie de qui vient de le lire.
Qu’est-ce qu’être
nietzschéen ?
Il y a plusieurs
façons de l’être et l’on peut l’être de façons diverses dans une même vie… Bien
sûr il y a les plus simples qui sont les plus fautives et qui ne nécessitent
pas grand-chose, sinon la plus bête façon de tomber dans tous les pièges tendus
par le philosophe: c’est ne rien voir de son humour, de son ironie, de son
cynisme (au sens grec du terme: de son diogénisme…), c’est tomber à pied joint
dans sa misogynie, sa phallocratie, c’est ne pas voir que chaque revendication
d’un désir de force procède chez lui d’une envie de compenser une faiblesse
anatomique, physiologique, idiosyncrasique, c’est confondre le Juif de l’Ancien
Testament qui, via Paul, rend possible le christianisme, et le juif de
l’industrie du XIX° siècle. Il y a plus d’une erreur à commettre quand on ouvre
un livre de Nietzche à cet âge où le monde s’offre à nous dans son vaste chaos.
Ce Nietzsche dont
nous parlions, lui et moi, c’est celui de nos dix-sept ans avec lequel on
construit le plus solide en soi: c’est celui de la force que définit toute
violence qui sait où elle va, la violence étant quant à elle une force qui ne
sait pas où elle va, vers quoi elle va.
La proximité de
cette œuvre vécue un longtemps forge l’être comme un épée.
Ce que le professeur
Raoult retint de Nietzsche, c’est son noyau d’or: une méthode. Il faut laver
Nietzsche de la lecture gauchiste effectuée par les déconstructionnistes à la Deleuze
et Guattari, à la Foucault aussi, qui ont confondu la lecture que Nietzsche
effectue de la vérité, une somme de perspectives, avec la négation de toute
vérité. Que la vérité soit une somme de perspectives n’est pas abolition de la
vérité, négation et suppression de la vérité, mais bien plutôt lecture de la
vérité comme les cubistes la déplieront bientôt pour en montrer la plus grande
complexité.
Tout excité par la
densité de cette conversation sur la méthode nietzschéenne dans un temps
suspendu qui est celui du jour qui se lève en Martinique, je passe à une figure
nietzschéenne elle aussi: celle de Paul Feyerabend dont j’aime le Contre la
méthode, un livre sous-titré "Esquisse d’une théorie anarchiste de la
connaissance". D’abord, bien sûr,
il connaît ce texte de 1975, mais il l’a enseigné dans des séminaires dont je
découvre l’existence…
Outre Nietzsche et
Feyerabend, il se fait que j’aime une troisième référence philosophique en
matière de méthode: c’est celle de La Formation de l’esprit scientifique de
Gaston Bachelard. Cette proposition pour une psychanalyse de la connaissance
objective (pas une psychanalyse freudienne mais jungienne…), permet en effet de
voir comment se construit un savoir, ce que sont les obstacles épistémologiques
et les ruptures épistémologiques, comment on construit et on déconstruit un
savoir, scientifique ou autre.
Je regarde vers la
mer, le matin est rouge, le soleil lisse la mer en nappes orangées. Le
professeur Raoult me demande si je connais une phrase de Husserl qu’il me cite
-je ne la connais pas. Elle dit en substance que la vérité se cache et qu’elle
dissimule surtout l’essentiel qui reste celé. L’ombre de Nietzsche plane sur
cette discussion entre deux temps décalés par le chronomètre. La conversation
se termine. Le silence qui suit cette conversation est encore notre
conversation. Ça bruisse et danse comme à proximité d’un rucher. Chacun repart
vers ses rûches…
Quelques jours plus
tard, je quitte la Martinique. On annonce un confinement plus drastique, il est
question d’un embargo total des vols, d’une interdiction des échanges entre
l’île et la métropole, d’un prochain vol prévu en juin… Dorothée nous réserve
un billet de retour en urgence. Nous partons. Ma mère a quatre-vingt cinq ans,
elle ne tient pas une grande forme, je ne voudrais pas ne pas pouvoir ne pas
m’occuper d’elle. Et puis, si le coronavirus devait faire son travail, mon
passé étant un passif, infarctus, AVC, accidents cardiaques, je préfère me
trouver en métropole. Enfin et surtout, je ne veux pas exposer Dorothée à ce
qui ne serait pas le meilleur pour elle.
Nous avons des
masques et des gants. Mais la situation sanitaire est catastrophique dans
l’aéroport: une file d’attente sur une centaine de mètres, les gens sont à
touche-touche, pas un uniforme, ni policier, ni gendarme, ni militaire, pas de
personnel aéroportuaire, il va falloir attendre trois heures les uns sur les
autres. Les valises et les sacs copulent dans un grand désordre tropical. Il
fait chaud, tiède, moite. Les gens vont et viennent. Les enfants sont assis sur
les bagages. Mais pas seulement. Lors de l’embarquement, tout le monde se rue
sur tout le monde. L’appareil est un Boeing 747 affrété pour Corsair, soit
quatre à cinq cents personnes en meute…
Tout le monde pense
au coronavirus à cet instant: comment passer à coté? D’autant que les huit
heures de vol vont s’effecteur avec un air brassé qui est celui du bouillon de
culture de tout le monde… Mon voisin éternue comme un héros de Rabelais -il en
fout partout… Je lis Le Destin des
civilisations de Frobenius, mais j’ai l’impression d’en apprendre plus avec ce
vol qu’avec ce livre…
Arrivée dans un
aéroport vide, nous récupérons notre voiture, nous rentrons en Normandie. Trois
heures en solitaire sur l’autoroute. Caen est une ville morte. Me voilà chez
moi. Par mon balcon j’avise une ville à la Chirico: pas âme qui vaille, mon
frigidaire est vide, la lumière est celle d’une ville après la fin de monde, un
genre de blancheur propre à l’idée que je me fais de l’apocalypse…
Le lendemain matin,
terrible mal de tête, courbatures comme si j’avais été roué de coups, début de
fièvre -je la supporte habituellement assez mal… Elle va grimper en continu
jusqu’à atteindre 40°, elle ne quittera pas cet étiage pendant une semaine,
nuit et jour. Je crains pour Dorothée qui a prêté son appartement à son fils.
Elle est confinée avec moi. Je ne voudrais pas l’exposer; je lui confesse mes
symptômes, elle m’avoue les mêmes… Nous appelons notre médecin qui, au vu de ce
que nous lui racontons, conclut que tout cela ressemble bel et bien au covid
-9… Avec prudence et force circonspection, il convient que c’est ça -"Vous
l’avez chopé…" nous dit-il avec une vraie tristesse dans la voix.
Nous vivons donc le
covid de l’intérieur: il n’est plus à craindre, il est là. Plus besoin d’avoir
peur qu’il nous tombe dessus, il est dedans nous. C’est désormais la roulette
russe.
Il me vient à
l’image une sortie de tranchées pendant la Première Guerre mondiale: certains
se prennent la balle en plein tête, c’est fini pour eux, la guerre est terminée
mais la vie aussi; d’autres passent au travers des impacts de balles et d’obus
qui sifflent, ils n’en prennent aucun, tous passent miraculeusement à côté; un
troisième se prend un éclat dans l’épaule, c’est juste assez pour sortir du jeu
et retrouver l’hôpital, mais pas trop pour ne pas se retrouver allongé dans un
cercueil, à deux doigts c’était l’artère. Qu’est-ce qui justifie le trou dans
le front? Tous les impacts à coté? La balle au bon endroit qui libère? Le
hasard et rien d’autre… Dieu n’existe
pas, il aurait sinon un sacré culot.
Je songe donc à ce
virus et à ce qu’il va faire de Dorothée, de moi. Je songe à mes morts et je
n’imaginais pas que je devrais envisager les retrouver conduit par ce genre de
virus issu d’une soupe chinoise de pangolin ou d’un bouillon de chauve-souris.
Je transpire nuit et jour à 40 degrés. Mon cœur bat à tout rompre. Je sens les
emballements de diastoles et de systoles que je connais bien. Je retrouve les
pétillements, les crépitements, les griffures sur la peau de mon cerveau abîmé
par les AVC. Je renoue avec les forages qui m’avaient troué le cerveau à cette
occasion. Un jour, deux jours, trois jours, quatre jours, cinq jours, six jours
à ce rythme entre 38 et 40 de température… Le cœur qui bat la chamade, la
pression artérielle qui cogne contre les tubulures. Je ne m’étonnerai pas que
tout ça lâche d’un coup.
Dorothée ne va pas
bien. Elle accuse des symptômes méningés. Elle est hospitalisée six jours. Je
suis seul, en tête à tête avec ce cerveau brûlant et brûlé, guettant la
surchauffe qui m’emportera peut-être tout entier comme une hache tanche d’un
coup le nœud gordien. Chaque matin, dans mon lit trempé comme une soupe, je me
réveille en me disant que ça n’aura pas été cette nuit.
Et puis, le 28 mars
à 20h03, je me décide à envoyer un texto au professeur Raoult pour lui raconter
ce qui se passe en quelques lignes -diarrhée, migraines, température,
courbatures, antécédents d’infarctus et d’AVC, tension élevée, j’ajoute que
Dorothée est dans le même état, mais hospitalisée … Il me rappelle dans le
quart d’heure et me demande si je souffre d’anosmie et d’agueusie: anosmie et
agueusie, non, je n’ai pas perdu le goût mais il s’est modifié –tout est devenu
terriblement amer.
L’échange a duré
moins de quatre minutes. Il conclut: "ça n’est pas le covid". Puis
une phrase qui se perd après cette information qui me sidère et qui donne une
posologie de je ne sais quel médicament pour je ne sais quel cas. J’étais, nous
étions positifs au covid: nous ne l’étions plus. Mais quoi alors? Il n’y avait
plus rien ni personne au bout du fil. Sauf cette fulgurance dont seul est
capable celui qui sait parce qu’il voit.
L’hôpital fit avoir
quelques heures plus tard à Dorothée qu’elle n’avait pas le covid, donc
probablement moi non plus. C’était une dengue autrement dite une maladie
tropicale. Celui qui avait lu Nietzsche quand il avait une quinzaine d’années
n’avait pas effectué tout ce compagnonnage avec Le Gai Savoir en vain –il en
avait appris la sapience véritable. Il est un chef.
On comprend que
pareilles visions déroutent les benêts qui ne les comprennent pas -Alain
Duhamel et Daniel Cohn-Bendit, Marc Lambron et Michel Cymes, le journaliste du
Monde et quelques autres faisans qui sentent la haine comme de vieillies
charognes puent la mort quoi qu’elles fassent... Le professeur Raoult dispose
de la ligne directe avec la Vie. Un effet de sa longue fréquentation du Gai
Savoir de Nietzsche. Que pourraient bien en savoir les petits hommes qui
grouillent dans Zarathoustra?
Michel Onfray
*: A suivre:
"Le président de la République: Qu’est-ce qu’un chef? (2)"
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