Ils ont arrêté de suivre l’actu : « J’ai passé la meilleure année de ma vie »
Réchauffement climatique, guerre en Ukraine… De plus en plus de Français cessent volontairement de suivre l’actualité, jugée trop anxiogène ou pas assez accessible. Nous avons interrogé trois d’entre eux pour mieux comprendre leur décision.
Ce qui n’était considéré que comme un vague sentiment minoritaire il y a encore quelques années a désormais un nom dédié, celui de fatigue informationnelle. Le phénomène a même fait l’objet d’une étude particulièrement instructive de la Fondation Jean-Jaurès, publiée en septembre 2022, dans laquelle on apprend que pas moins de 53 % des Français disent souffrir de cette « fatigue » vis-à-vis de l’actualité, dont 38 % en souffriraient « beaucoup ».
Preuve de l’ampleur du phénomène, certains mettent désormais en place diverses stratégies d’évitement, de la désactivation des notifications à la coupure totale, en passant par l’instauration de temps dédiés. Dans l’étude de la fondation Jean Jaurès, 31 % des sondés justifient ainsi leur éloignement de l’info par « l’impact négatif sur le moral » que celle-ci leur procure. Mais jusqu’où les personnes concernées peuvent-elles vraiment « protéger » leur moral ? Quelles nouvelles pratiques mettent-elles en place, et pour quelle efficacité ? Nous avons recueilli les témoignages de trois personnes ayant récemment décidé de ne plus s’informer autant qu’avant.
Justin, 28 ans, designer
« La manière dont je m’informe a radicalement changé depuis deux mois. Avant, je voulais constamment être au courant de ce qui se passait autour de moi, non seulement par nécessité pour mon métier, mais aussi pour moi, par intérêt personnel. J’écoutais la radio le matin, pas mal de podcasts, je suivais beaucoup de médias et de journalistes sur Twitter… Jusqu’au jour où je me suis rendu compte que cette routine me procurait un effet anxiogène, notamment sur des sujets comme la guerre en Ukraine et l’écologie. J’étais arrivé à un stade où j’avais l’impression de n’entendre que du négatif, et aussi de ne plus rien arriver à retenir. Je ne sais pas si on peut appeler ça des crises de panique à proprement parler, mais dans ces moments-là, je ne me sentais vraiment pas bien (…)
Je me souviens d’un moment en particulier où j’ai vraiment angoissé. C’était à l’approche de l’été, en lisant des articles sur le fait que les nappes phréatiques n’étaient toujours pas remplies. J’étais déjà très soucieux de l’été qu’on allait subir, et les infos qui commençaient à en parler n’ont rien fait pour arranger le truc. Un matin, j’ai allumé la radio, j’étais tout seul en train de déjeuner, il y a eu un flash info sur le sujet. J’ai ressenti une sorte de décharge électrique, ça m’a mis dans le mal et j’ai tout de suite coupé le son (…)
Depuis, j’ai donc volontairement décidé de faire une pause, en mettant en place des temps dédiés pour m’informer, et surtout en sélectionnant mieux mes sources d’information. Désormais, je prends une heure chaque matin pour lire un ou deux articles assez longs, analytiques, que j’ai mis en favori la veille (sur un sujet en particulier, en ce moment c’est beaucoup l’intelligence artificielle par exemple), et j’écoute quelques podcasts sur mon temps libre, quand je suis en voiture ou quand je fais la cuisine, notamment Backseat (émission d’actualité politique présentée sur Twitch par Jean Massiet, ndlr). J’ai mis de côté les médias généralistes comme France Info et même tout ce qui touche à l’écologie, un sujet que j’essaye désormais de suivre en lisant des livres et de la vulgarisation scientifique. C’est une manière différente de s’informer : j’ai l’impression que c’est moi qui vais vers l’info plutôt que l’inverse, désormais. Résultat, je me sens bien mieux qu’avant. »
« Je ne vais plus chercher l’info de manière intentionnelle, parce que ce serait me replonger dans des trucs trop négatifs »
Chloé, 26 ans, ingénieure
« Je m’informe surtout via Instagram, notamment avec le compte d’HugoDécrypte, parce que j’aime bien son côté concis. Mais depuis le début d’année, mon algorithme me recommande de moins en moins de contenus liés à l’actualité, sans doute parce que je réagis moi-même de moins en moins à ce type de contenus. Cette décision de se couper de l’actu n’est donc pas vraiment volontaire au départ mais, depuis que c’est comme ça, je ne cherche pas à corriger le tir. Je ne vais plus chercher l’info de manière intentionnelle, parce que ce serait me replonger dans des trucs trop négatifs (…)
Quand j’ai réalisé que je m’informais de moins en moins, je me suis rendu compte que je me sentais mieux dans ma peau. Ça ne me manque pas du tout, au contraire. L’actu ne me préoccupait pas au point de dire que par le passé j’étais anxieuse, mais depuis que je ne la suis plus, j’ai l’impression d’être plus apaisée, moins préoccupée (…)
Avant, les infos que je voyais passer étaient surtout liées à des catastrophes environnementales, des guerres, des violences policières. J’en avais marre de voir tout ça apparaître dans mon fil. Non pas que j’aie envie de me couper de ces sujets – il faut quand même être conscient de ce qui se passe autour de soi et dans le monde – mais j’en entends déjà suffisamment parler autour de moi, à travers des discussions notamment. Donc quand un sujet d’actu vient dans une conversation, souvent je pose des questions, je m’intéresse un minimum. Mais je n’ai plus envie de rajouter cette couche de stress supplémentaire. À l’inverse, si les médias proposaient davantage de contenus « de solution », de nouvelles positives, un peu comme HugoDécrypte le fait avec ses “5 bonnes nouvelles de la semaine”, je me dis que ça pourrait me faire revenir vers eux. »
« Je croyais que les révoltes des banlieues, c’était des feux d’artifice ! J’étais tellement dans ma bulle professionnelle et familiale que je n’ai été au courant de rien »
Nicolas, 41 ans, chirurgien
« Je ne consomme plus du tout d’information depuis un an. L’actu remonte jusqu’à moi par décoction : j’en entends parler via les conversations autour de moi et, si un sujet m’intéresse, je peux choisir de le creuser en lisant quelques articles. J’écoute beaucoup de podcasts, mais je n’écoute plus du tout la radio alors que je l’écoutais en permanence avant. Même chose avec la télé : j’avais l’habitude de regarder les infos, mais aujourd’hui c’est fini. Et je n’ai plus ni Facebook, ni Twitter, ni Instagram, ni TikTok non plus – surtout parce que j’en avais marre de la publicité ciblée, pour le coup.
Il y a deux raisons principales à cette déconnexion. D’une part, pendant toute la période du Covid, j’étais fatigué qu’on me rabâche systématiquement les mêmes choses. Et puis surtout, ça me maintenait dans un état d’anxiété permanente, contenue. Je me suis rendu compte que ça me faisait du mal, que j’avais peur de toutes les crises qui nous tombaient dessus. On nous rabâche en permanence qu’il y a un réchauffement climatique, d’accord. Mais maintenant qu’on le sait, à quoi bon ? Ça ne m’empêche pas d’agir sur l’écologie, bien au contraire : je prends de moins en moins ma voiture pour diminuer mon empreinte carbone, je composte mes déchets, j’achète sur Vinted… Mais depuis que je sais qu’il faut faire tout ça, je n’ai pas besoin d’en savoir plus. C’est la même chose avec l’inflation : je vais faire les courses chaque semaine donc je peux constater par moi-même que les prix augmentent ! Pas besoin de lire l’actualité pour le savoir.
Bref, désormais, je suis dans une sorte de lâcher-prise : je me dis que si un truc grave arrive, je vais forcément le savoir. Je ne veux plus que l’information me soit ‘dégueulée dessus’ (…) Là par exemple, fin juin-début juillet, je croyais que les révoltes des banlieues, c’était des feux d’artifice ! J’étais tellement dans ma bulle professionnelle et familiale que je n’étais au courant de rien. Et honnêtement, quel soulagement… C’est seulement quand ma femme m’a raconté que j’ai su.
Ce que je déplore aussi avec l’information, aujourd’hui, c’est le sentiment de passivité. Avant, quand je suivais encore l’actualité, je n’arrêtais pas de me dire : “Ok, mais je peux rien faire, en fait”. C’était peut-être un peu pédant mais, avant, je croyais qu’on était censé agir sur notre environnement, notre société, notre communauté locale. Aujourd’hui je suis plus lucide – certains diraient fataliste. Comme je ne peux rien changer, je préfère tourner la page. Résultat, j’ai passé la meilleure année de ma vie. »
Pablo Maillé - 5 août 2023
Fin de l’article
C. Rosenzwitt-Makiewsky-Santri
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